Russ Lossing

Jazz Pianist - Composer

 


© Le Temps; 08.08.2004    GENEVA

JAZZ. Un trio non conventionnel déjoue les règles jazzées du trinitairement correct.

Le mystère selon Motian

Russ Lossing- Ed Schuller- Paul Motian. As it Grows (Hatology 605/Musicora)

Une maille à l'endroit, deux mailles à l'envers. La capacité de cette musique, non à s'autodétruire dans un vain défi avant-gardiste, mais à revenir perpétuellement sur ses acquis la rend inouïe. Inaudible? Pour ceux que le discontinu révulse, sans doute. Parce que ce trio n'a pas grand-chose à voir avec le dernier Brad Mehldau. Les acteurs qu'il met en scène et surtout en jeux (le pluriel n'est pas une coquille) affichent un sens proprement ludique de la prise de risques qui les pousse à collectionner comme des amulettes à peu près toutes les émotions fortes inhérentes à la pratique de l'improvisation.

Il y a d'abord ce Russ Lossing, constitué chef de bande parce qu'il en faut un dans tous les jeux, qui plie le piano-jazz aux rugueuses règles de la musique contemporaine. Secondé par la contrebasse d'Ed Schuller, sorte de machine à sécréter les métamorphoses, il projette sur tout ce qui lui passe sous les doigts l'ombre d'un doute métaphysique. Celui-là même qu'excelle à susciter la batterie de Paul Motian, qui reste, et selon des modalités toujours plus touffues, l'une des énigmes les plus impénétrables du jazz.

C'est lui, comme souvent, qui fait ici office d'œil du cyclone, entraînant dans ses intrigues des partenaires totalement fascinés par sa faconde rythmique et son exigence fictionnelle, qui confère à cette musique un sens du mystère aujourd'hui banni de la place publique.


 
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